Lucie Lacour, musicienne compositrice

Dans la famille de Lucie on n’est pas musicien mais on est profondément mélomane. La maman sensibilise ses trois filles à la musique classique et à l’opéra – « J’ai été biberonnée à Carmen ! » s’enthousiasme Lucie ; le papa préfère le blues et les chansons françaises. Au programme : Brel, Brassens, Ferré… Un éclectisme musical dont Lucie a su tirer parti.

De la flûte enchantée aux violoncelles enchanteurs

« Nous étions une famille modeste mais dès que mes parents en avaient la possibilité, ils nous emmenaient au concert ou voir des expos ». Ainsi Lucie évoque-t-elle son enfance. Ni danse, ni théâtre, ni ciné. Cela viendra plus tard. À Privas, en Ardèche, où vivent alors la fillette et sa famille, il n’existe d’ailleurs pas de salle de cinéma.

La jeune femme se souvient de deux moments très marquants pour elle. À 6 ans, sa mère l’emmène voir « La flûte enchantée » de Mozart. Le spectacle dure 3 heures mais la petite fille, sidérée, ne bouge pas de son siège. « C’était un grand choc émotionnel » raconte la jeune femme quelques 38 ans plus tard. La deuxième révélation lui vient à peu près à la même époque, à l’occasion d’un spectacle réunissant une chanteuse et un octuor de violoncelles qui joue les Bacchianas brasileiras de Villa-Lobos. Et la petite Lucie de se tourner vers sa mère à l’issue de la prestation et de lui déclarer : « Maman, je ferai ça dans ma vie ! » Sa vocation est née.

Un ange gardien prénommé Ysabelle

Le violoncelle sera donc le premier instrument d’apprentissage de Lucie. À 7 ans, elle est inscrite à l’école municipale de musique de Privas où elle étudie également le solfège. « J’ai bossé, ça fonctionnait bien ». Plus tard, elle intègre au lycée de Valence une section A3 (littéraire) option musique. Elle entre en parallèle au Conservatoire de Valence.

Après le bac, Lucie « effectue un petit virage et lâche un peu la musique ». Elle entame des études d’italien à Lyon. Son projet professionnel : devenir critique musicale en Italie, bien qu’elle n’ait aucun lien avec ce pays ; elle sait pourtant qu’elle pourrait y vivre. Conjointement à la Fac, elle étudie au conservatoire régional la théorie de la musique : analyse, harmonie, solfège, esthétique etc. Elle reste deux ans sans vraiment travailler son instrument puis se décide à reprendre des cours.

Elle est alors acceptée à l’ENM (École nationale de musique) de Villeurbanne chez madame Ysabelle Sauzeau. « Elle m’a tirée du ruisseau » confie-t-elle. En effet, Lucie est déjà un peu âgée, elle ne possède aucun diplôme et son niveau de jeu n’est pas extraordinaire, selon elle. Cette dame est la seule à détecter le potentiel de la jeune artiste, à croire en elle. « Elle m’a donné ma chance, en revanche elle m’a pressée comme un citron ». Faute de place vacante, Lucie entre seulement en janvier au conservatoire pour passer le CFEM (certificat de fin d’étude musicale) en mars ! Elle travaille son instrument sans répit. Elle intègre ensuite le cycle diplômant supérieur et obtient son DEM (Diplôme d’études musicales) un an plus tard, de façon très accélérée. Madame Sauzeau ne l’a jamais lâchée. « Elle a été mon mentor, exprime Lucie avec émotion. Même si on n’est plus en contact, je sais qu’elle veille toujours sur moi ».

De la musique classique et de la prison

À l’ENM, Lucie bénéficie, du fait de son très bon niveau en violoncelle, de demandes d’interventions en jazz, chanson, rock. Cela lui permet de «tâter d’autres styles». Elle fait également des improvisations libres. Car si elle aime énormément le classique, l’aspect académique qui lui est associé la rebute. En effet, les orchestres classiques, très hiérarchisés, obéissent à un protocole rigide : code vestimentaire immuable, codes de jeux, planification des entrées en scène etc. Sans doute ce rituel cadré rassure-t-il les auditeurs, pense Lucie mais pour sa part elle n’y adhère pas. Selon elle, cette étiquette guindée constitue avant tout un frein à la démocratisation de la musique classique. La jeune femme met en avant l’hypocrisie des politiques qui prétendent introduire celle-ci dans les cités sans pour autant vouloir renoncer à tous ces protocoles qui favorisent le clivage bien plus que l’adhésion : le décalage est trop grand. « Lorsque j’interviens en prison, j’y vais en jeans et en baskets. Les détenus sont bluffés par l’instrument, ils apprécient vraiment la musique, c’est tout ce qui compte. » Partant, Lucie n’a pas du tout envie d’intégrer un orchestre. En outre, dotée d’un caractère indépendant, elle tient à conserver sa liberté d’interprétation.

À 19 ans, Lucie vit donc à Lyon. Elle choisit de dispenser des cours de solfège afin de ne plus dépendre financièrement de ses parents. Elle peine parfois à remplir son assiette mais vole enfin de ses propres ailes. Elle devient ensuite professeure de violoncelle au sein de plusieurs écoles associatives. « Je n’ai jamais pu entrer au CEFEDEM (Centre de ressources professionnelles et d’enseignement supérieur artistique), l’institut qui procure le diplôme d’état d’enseignant » regrette-t-elle. Or, en France, le diplôme est toujours valorisé au détriment du savoir-faire et de l’expérience. « Surtout en musique classique, explique Lucie. Sans diplôme d’état, on n’est pas crédible même si on a toutes les compétences et la pratique requises ». Lucie enseigne pourtant le violoncelle à un public très varié, enfants, ados, adultes, débutants ou confirmés. Certains de ses élèves intègrent ensuite les « régionales » de Lyon ou l’ENM de Villeurbanne ou d’autres écoles diplômantes – preuve s’il en est que la jeune femme est une excellente pédagogue.

En parallèle à l’enseignement, Lucie monte des projets scéniques. Elle crée en 2007 avec Coline Verger, violoniste, le groupe « Louko Duo » – et intervient avec elle dans plusieurs prisons françaises : Saint-Paul, Fleury, Les Baumettes, Fresnes… Les deux filles enregistrent leur premier album « en centrale pénitentiaire » grâce à Nicolas Frize, un musicien acousticien qui a entrepris de numériser les archives sonores de l’ORTF, permettant aux détenus de se professionnaliser dans les métiers du son. À Saint-Maur Châteauroux, où se situe un de ses studios, le duo travaille avec quelques prisonniers. Les deux filles y côtoient notamment pendant une dizaine de jours le « faux docteur » Jean-Claude Romand. Lucie se souvient de l’accueil cordial, très respectueux, qui leur a été réservé.

Le choix de Lucie

À 38 ans, Lucie tombe gravement malade. En arrêt de travail durant 4 mois, elle reçoit de la Sécurité sociale seulement l’équivalent d’un mois de salaire. Elle a failli mourir et n’a pas l’énergie de se battre pour faire reconnaître ses droits. Heureusement son mari gagne correctement sa vie et peut subvenir à ses besoins et à ceux de leur fille. La santé défaillante de la jeune femme ne lui permet pas de continuer à jouer sur les deux tableaux : professeure ou violoncelliste, il lui faut choisir. Lucie opte pour la scène. Le couple décide de quitter son logement lyonnais devenu « trop petit et trop chargé. » En 2017, Lucie, son mari et sa fillette de 7 ans emménagent donc à Villefranche-sur-Saône dans un appartement spacieux situé en centre-ville. « Ce n’est pas une page que j’ai tournée, c’est un livre que j’ai fermé et que j’ai rangé ; puis j’en ai pris un autre, prêt à être écrit » explique Lucie. Elle met pas moins de deux ans à se rétablir des suites de sa maladie. Mais en janvier 2020, nouveau coup du sort : un mois et demi avant le confinement, la jeune femme se casse la jambe et se retrouve clouée dans un fauteuil roulant.
En l’espace de 3 ans de vie à Villefranche, Lucie, de par son dynamisme et son talent reconnu par tous, est tout de même parvenue à s’inscrire sur le territoire : elle joue dans des vernissages d’expo, à la librairie des Marais, au cinéma Les 400 coups. Elle rencontre d’autres acteurs du monde artistique et culturel et n’hésite pas à « réseauter » : « Ici c’est plus facile qu’à Lyon, on est plus proches ; et puis le local c’est bien ! » Pour autant, Lucie se passerait difficilement de ses déplacements réguliers à Lyon et à Paris. « J’ai besoin de ce temps ailleurs », confie-t-elle.

Un statut de « chômeuse non rémunérée »

Du fait de tous ces contretemps, Lucie n’a pu acquérir le statut d’intermittente du spectacle. Elle a démissionné de l’enseignement, en conséquence de quoi elle n’a pas droit à l’allocation chômage. Et si ses problèmes de santé lui ont ouvert un droit à l’AAH (Allocation d’adulte handicapé), elle ne la perçoit pas car l’AAH n’est pas individualisée – les revenus du couple, seuls pris en compte, la privent de cette ressource. « C’est la double peine ! » s’exclame-t-elle, révoltée. Dans les milieux officiels, on lui conseille de frauder pour obtenir gain de cause ; stupéfaite, la jeune femme refuse tout net. Elle espère juste que la « déconjugalisation » de l’AAH sera votée dans un avenir proche.

Ses revenus personnels dépendent donc uniquement de ses prestations scéniques. Bien entendu, la récente crise sanitaire ne l’a pas aidée. En tant que non-intermittente, Lucie n’a eu droit à aucune aide exceptionnelle durant la crise du Covid. « Toute seule, je suis en dessous du seuil de pauvreté » constate-t-elle avec amertume. Mais Lucie ne baisse pas les bras pour autant. Même si elle a décidé de continuer à travailler « à sa mesure » pour éviter avant tout de mettre sa santé fragile en péril, elle va tenter d’obtenir le statut d’intermittente. Pas vraiment une fin en soi mais un moyen pour lui permettre de pratiquer son art un peu plus sereinement.

Une musicienne compositrice ultra-dynamique, présente sur tous les fronts

Malgré tous ces aléas, Lucie reste une battante : elle déborde d’envies, de projets, d’actions. Son agenda est bien rempli. « Je fais de la scène en classique, en chanson, je joue du violoncelle ou de la basse avec des groupes, en rock également. Je compose de la musique de scène pour le théâtre. » Lucie s’est déjà produite par deux fois au festival d’Avignon, en 2018 et 2019, dans une pièce qui allie jeu théâtral et musique, intitulée « La théorie du K.O. ». Elle compose également de la musique destinée à être diffusée comme « la bande annonce des rencontres 2021 du cinéma francophone » organisées par le cinéma les 400 coups à Villefranche-sur-Saône (69). Elle a composé la musique de la pièce « Liberté je crie ton nom » créée en octobre 2021 à Rive-de-Gier (42) et celle de « Molière », e Georges Sand, créée en septembre 2021. Dans « La Robe de mariée » de Katherine L.Battaillie, autrice lyonnaise, sa musique est jouée en direct.

Lucie prépare actuellement un spectacle autour de la liberté en chansons avec une chanteuse et une accordéoniste. Elle collabore amicalement avec des « potes », comme Erwan Pinard dont le disque « L’Indicible » est paru en 2020, Hoxy More qui sort un disque en mars 2022 ou encore Gabriel Keller dont l’album intitulé « Clair Obscur » paraîtra au printemps 2022, « avec un côté plus pop et un côté plus métal. Il a voulu défendre cet album d’abord en acoustique, en trio guitare, violoncelle et voix, ensuite on rajoutera un combo, un batteur et une deuxième guitariste, on mettra de l’électricité dans nos instruments pour obtenir une version plus rock. On jouera bientôt à Villefranche ».

Quand, pour raison de santé, elle ne peut solliciter son bras pour travailler son instrument, Lucie consacre des heures à la diffusion, à la gestion de son site internet etc. Des tâches indispensables qu’il lui est difficile de gérer au quotidien, par manque de temps et de disponibilité.

Sylvie Callet, novembre 2021.