Laurent Fléchier, artiste multiple

Laurent est domicilié depuis l’an 2000 à Villefranche-sur-Saône, dans le Rhône. Musicien clarinettiste de formation, il manipule également le son, l’image – fixe ou animée -, l’outil numérique etc. Il écrit également : de la musique, des textes. Il pratique en outre la photo depuis l’adolescence. « Depuis mes 30 ans, je ne me définis plus comme seulement musicien » déclare cet homme d’une cinquantaine d’années. De son activité d’enseignant, l’autre pan de ses activités, il dit qu’elle lui permet de satisfaire à sa passion de la transmission.

Engagé dans des projets collaboratifs, il ne s’interdit aucun medium, aucune démarche artistiques… pourvu que l’enthousiasme soit au rendez-vous !

Une vocation artistique née d’un « hasard conjoncturel »

Enfant, Laurent vit à Châteauroux, une petite ville à l’époque. L’harmonie-fanfare y est alors la seule formation musicale. Cela ne l’intéresse pas. En outre, la musique ne fait pas partie de sa culture familiale, du moins c’est ce qu’il pense. Il découvrira plusieurs années plus tard que ce n’est pas tout à fait le cas.

Dans les années 80 naissent un peu partout en France, grâce au plan initié par Maurice Fleuret adepte d’une politique démocratique de la musique, des Conservatoires pour tous. La mère de Laurent invite ses deux fils à s’y inscrire à la rentrée de septembre, histoire de pratiquer une activité. Laurent a 7 ans. L’équipe de jeunes professeurs de musique arrivée dans la ville est jeune, dynamique et, même si les contenus de cours demeurent académiques, ces enseignants emploient des méthodes modernes qui séduisent Laurent. Son frère abandonne très vite. Laurent est d’un niveau moyen, mais il s’accroche. Son instrument ? La clarinette. Le garçonnet n’est peut-être pas très doué, il manque de culture musicale mais en revanche il a « envie ».L’enseignement est de qualité, les profs sont de très bons musiciens. De plus, Laurent apprécie de faire partie d’un collectif – un goût qui ne se démentira plus.

C’est l’époque où des musiciens se professionnalisent, l’apparition des classes à horaires aménagés – CHAM pour le secteur musical. En 5ème, lorsque vient l’heure de remplir sa fiche de vœux pour choisir son orientation future, Laurent, influencé par deux copains qui ont suivi ce cursus avant lui, s’exécute aussitôt mais il attend le dernier moment pour montrer sa feuille à ses parents : il a décidé de s’inscrire au Conservatoire de Tours, en classe aménagée. Sa mère et son père, tous deux fonctionnaires, sont très surpris. Bien que réticents, ils finissent par autoriser Laurent à s’envoler pour Tours.

La musique, un art exigeant… et une motivation accrue

Laurent intègre alors le Conservatoire de Tours et s’installe à l’internat. Il réalise alors que la musique n’est pas juste un rêve ou un fantasme mais un art difficile, exigeant. Même s’il n’a pas le niveau en arrivant, il s’accroche et se met à travailler 6 à 8 heures par jour. Il lui faut réussir les examens sous peine d’être recalé.

Très vite il vit la musique « H24 ». Au bout de 6 mois d’internat, il ne rentre même plus chez lui le week-end. Laurent « cravache avec passion ». Mais « travailler bien ne suffit pas. En musique il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus ». Il ne fait pas partie des virtuoses instrumentistes de sa génération, c’est lui-même qui le dit. En 5 ans de Conservatoire, Il devient tout de même un très bon musicien et s’ouvre à d’autres disciplines associées. Outre la clarinette, sa formation lui permet d’approcher la danse ou encore le chant. « J’ai découvert que La musique, ce n’est  pas juste la maîtrise d’un instrument, c’est bien plus large que ça », affirme-t-il. « L’art, c’est global ».

De ses années de Conservatoire à Tours, il a gardé des contacts artistiques précieux, de grands amis, avec qui il échange en permanence. Même si ses camarades et lui ont tous pris des chemins différents, leur histoire commune les lie de façon indéfectible.

Une rencontre déterminante

Après la terminale, Laurent ne suit pas le parcours académique qui consiste à intégrer des établissements supérieurs, travailler jusqu’à 12 h par jour, devenir soliste, viser une carrière internationale…

Afin de rassurer ses parents, il effectue un petit passage en Fac où il se découvre un goût pour la culture. Devenir enseignant de conservatoire est très difficile à cette époque. Pourtant, Laurent sait qu’il y parviendra. Car il se sent « transmetteur » autant qu’artiste. Et puis, s’il apprécie la musique, il goûte beaucoup moins « le milieu de la musique ».

Sa compagne, spécialiste du basson, se trouve en stage à Vannes. Il la rejoint. À l’académie de Vannes il rencontre Jacques Di Donato, professeur de clarinette du Conservatoire national supérieur de musique de Lyon. Une rencontre « d’une violence incroyable : ce monsieur est ce que je veux devenir ! C’est un lutin, un homme magique. »

Jacques di Donato a formé toute une génération de clarinettistes dont Laurent considère aujourd’hui qu’elle est sa famille musicale. C’est l’époque des happenings musicaux, du « gros bordel artistique où on est d’abord un activiste, un artiste dans la cité ». Aucun des musiciens ne s’en tient à la seule pratique de son art : tous sont polyvalents ; certains sont ouvriers, employés à l’usine.

Jacques di Donato est un chef de file de l’avant-garde française, qui peut dans la même journée côtoyer Barbara puis enregistrer avec Boulez, retrouver ensuite Bernard Lubat, partir enregistrer de la musique de film et terminer dans un grand club de jazz avec les musiciens du monde entier. Pour lui, jouer de la clarinette constitue un moyen, ce n’est pas une fin en soi.

Laurent est admiratif de cet homme qui déborde d’énergie. « Ce qui m’anime dit-il, c’est de me lever chaque matin pour être « plus » que ce j’étais la veille et avoir la forme de Jacques Di Donato ! ».

Entre activisme, direction et enseignement

Laurent a donc embrassé deux carrières, celle d’artiste et celle de transmetteur. Il enseigne depuis l’âge de 17 ans et a obtenu son premier poste de direction à 25 ans.

Lors de son premier poste complet d’enseignant, il se retrouve par hasard dans la Nièvre, à 50 km de son mentor Jacques Di Donato. S’ensuivent 10 ans de festivals, d’expérimentations, d’invitations de musiciens, de plasticiens… venus du monde entier. Les musiciens installent des pianos en haut des collines, agissent sur tous les fronts culturels : « C’était 10 ans d’activisme. On ne négociait jamais sur l’exigence artistique, on creusait le sillon de l’avant-garde, on ne faisait pas de concessions. On a peut-être fait des erreurs, en revanche on était toujours disponibles, près des gens, pour échanger avec eux, discuter. On donnait tout ce que l’on pouvait ». Mais tout ce petit monde très engagé finit par se heurter à la politique culturelle locale.

Laurent passe alors de nouveaux diplômes et intègre en 1999 un poste de direction dans l’Isère. Il est désormais directeur d’un Conservatoire qui compte une soixantaine de profs et un millier d’élèves. Graves dysfonctionnements internes, titularisation compromise, animosité de la part de certains professeurs : Laurent démissionne au bout d’un an et renonce définitivement à la direction. Deux postes d’enseignants de clarinette sont alors ouverts en France, dont un à Villefranche-sur-Saône. Sa compagne se trouvant à Lyon, Laurent choisit de rejoindre la Calade, où il est toujours.

Une multiplicité de statuts, d’employeurs, de « caisses » = un casse-tête administratif

En tant qu’enseignant, Laurent dispose du statut de fonctionnaire territorial. Il est titulaire de son poste et exerce à temps complet. Même s’il estime que son salaire est trop peu élevé au regard de ses diplômes, sa fonction et son ancienneté, il reconnaît que cette situation est confortable comparée à celle d’un artiste. Ce statut lui donne certes une assise, mais il le nourrit aussi humainement. En effet, le Conservatoire de Villefranche a toujours été un lieu d’expérimentation et de liberté pédagogique, ce qui donne beaucoup de latitude aux professeurs. « On met en place des projets qui font sens pour nous, pour nos élèves, nos collègues, les familles ».

Pour le reste, c’est plus compliqué. Dans la même journée, Laurent peut avoir 3 contrats de nature différente. « Par exemple, pour intervenir sur une scène théâtrale, je dois cotiser au pot commun des intermittents, sans pour autant bénéficier d’une contrepartie : je n’ai droit ni aux allocations, ni à la formation, ni à une couverture supplémentaire. Je jongle car selon l’endroit où j’interviens, je ne suis pas soumis aux mêmes charges. Pour pouvoir me faire rémunérer, obtenir le meilleur rendement  et surmonter le casse-tête administratif que cette complexité génère, je suis obligé de passer par plusieurs prestataires… que je dois bien entendu rétribuer, ce qui gonfle artificiellement les budgets ».

Au statut d’artiste vivant s’ajoute celui statut d’auteur : Laurent compose, sa musique est éditée. Et comme sa musique est jouée, il a aussi affaire à la Sacem. Grâce à la fusion des statuts « artiste-auteur » récemment opérée par l’Urssaf, Laurent va enfin pouvoir déclarer dans la même caisse plusieurs de ses activités parallèles : artiste, auteur, musicien, photographe, installateur sonore etc. ce qui n’était pas possible jusqu’à présent. Pas de gain direct mais des galères administratives en moins, ce qui signifie du temps et de la sérénité en plus !

Mais tout n’est pas rose pour autant : « Concernant mon poste d’enseignant, comme je ne suis titulaire que depuis l’âge de 30 ans (à cause de la rareté des concours), je n’aurai pas assez de trimestres pour prendre ma retraite à l’âge requis. Et même si je comptabilise plus de quatre trimestres d’activité chaque année du fait de mes activités parallèles, on me dit que ça ne compte pas. Pour l’instant ça va… mais plus tard ? On reste des précaires. »

Création, coopération, hybridation… des concepts-phares pour Laurent

Ce qui fait vibrer Laurent, c’est bien sûr la création mais c’est également la coopération avec autrui, celle qui lui permet de dépasser ses limites en tant que personne d’abord, en tant qu’artiste ensuite. Par exemple, il a récemment monté un projet avec E. Della Schiava, metteure en scène et comédienne,  avec qui il œuvre en confiance : accepter d’apprendre un texte qu’elle lui a confié, écrire pour elle de la musique, une chanson, travailler ensemble sur un slam pour la première fois… autant de nouvelles expériences dont il ne saurait se passer. Cependant, même si Laurent se revendique « artiste multiple », la musique reste le medium dans lequel il se sent le plus à l’aise. Pour preuve, son refuge en cas de mal-être reste la clarinette. « La clarinette, c’est ma maison » dit-il.

Laurent évoque par ailleurs son goût pour « l’hybridation » : il fait en effet partie du collectif Ligres tourné autour du numérique – selon lui un moyen plus qu’une finalité – qui permet à ses membres d’innover, construire, inventer des systèmes, des programmations. Apprendre des autres, étudier de nouveaux outils, créer, collaborer… voilà ce qui anime et motive Laurent chaque matin.

 Sylvie Callet, octobre 2021